Auguste Chabaud, dès son plus jeune âge, s’est passionné pour le dessin.
Depuis ses premières inscriptions sur la bible de sa mère ou encore sur son cahier d’école où il recopiait le Vercingétorix, le présentant sous diverses facettes, jusqu’à ses derniers jours, où il dessina hâtivement avec ses pinceaux colorés sur ses supports cartonnés.
A 14 ans, alors qu’il était collégien, il créa sa revue humoristique Le Rossard, caricaturant avec frénésie ses professeurs et prenant goût à la dérision et la moquerie.
Fasciné par les lithographies d’honoré Daumier, il en fût tout jeune un fervent admirateur tant par le trait incisif de son dessin que par le regard critique que ce dernier portait sans concession sur le monde.
Avec Pierre Grivolas, son professeur à l’école des Beaux –Arts d’Avignon, élève d’Ingres, il a appris les bases du dessin académique et reçu un enseignement classique, dont il fera très vite abstraction avec une rapide libéralisation de son trait.
Jeune homme à la cigarette- 1899
Le début de sa carrière de dessinateur commence réellement en 1901 avec ses papiers de boucherie où l’artiste se révèle un fascinant dessinateur au trait sûr et synthétique. La profonde humanité de Chabaud se révèle à travers cette première approche de la vie rurale sur ce support du quotidien et elle se poursuivra au cours de sa quête picturale, jusqu'à sa mort en 1955.
Cette courte période de travail, qui va de 1901 à 1902, est tout à fait exceptionnelle et bouleversante de vérité. Il faut la compter comme l’une des plus belles approches graphiques de l’artiste où l'éthique et l'esthétique se mêlent et où l'on découvre l’esprit pur et sincère de ce dernier ainsi que son don exceptionnel d’observation servie par une étonnante mémoire visuelle. Ses outils sont très sommaires, fusain, mine de plomb, craies blanches et de couleur et parfois un peu d’encre noire. L’approche graphique est donc très minimaliste et ainsi se révèle la modernité de l’artiste.
A cette époque, Chabaud est déjà un très grand dessinateur. Dans son isolement laborieux, il élabore très vite un style tout à fait personnel et unique avec un trait parfaitement maîtrisé, expressif, spontané et d'une saisissante vérité.
Zigzags, raccourcis, lignes courbes ou acérés, rehaut d’encre animent ses dessins avec une grande virtuosité et une parfaite maîtrise.
« (…) Ces dessins ont été faits d'un cœur candide, loin de toute fréquentation esthétique. Ils sont comme le bosquet assez agréable dont est sortie la forêt plus farouche de mon œuvre proprement dite. »
Maximilien Gauthier saluera la modernité de cette œuvre graphique et l’artiste génial et intuitif « sorte de primitif et de barbare, aux yeux de qui le trait, le ton, le rythme ont une valeur absolue, possèdent comme un pouvoir magique » .
Puis c’est en Tunisie, à l’occasion du service militaire que nous retrouvons ce même sentiment d’empathie et d’attachement que celui porté, dés 1901 sur ses papiers de boucherie, sur le monde rural environnant son mas.
Chabaud saisit chaque moment de la journée, intenses instants de vie, au sein de la caserne, caricaturant d’un trait vif les militaires gradés. Dans les souks de Bizerte il observe et croque avec tendresse sur son carnet les charmeurs de serpent, les conteurs, le marabout avec sa canne, les femmes drapées dans leurs voiles dont la pureté des lignes elliptiques est pour lui source de fascination.
Il dessine inlassablement à l’aide de crayons noirs ou de couleur, ou encore d’aquarelle et un peu d’encre, sur des feuilles de misère, cahier d’école, formulaires de télégrammes militaires ou feuilles d’hôpital avec au recto, les courbes de température. Tous ces supports susceptibles d’assouvir sa frénésie du dessin font partie de son univers d’artiste.
La mort le fascine autant que la vie. Il est capable de la représenter dans son expression la plus triviale comme le rappellent ses croquis expressionnistes réalisés lors de ses visites à ses amis, atteints de paludisme pour certains, à l’hôpital de Bizerte.
A Paris, c’est avec son crayon de menuisier rouge et bleu qu’il va croquer de nombreuses scènes de cabaret et de maisons closes, jouant ainsi avec justesse avec ses deux couleurs pour dynamiser la scène.
La danseuse de cirque- 19007/08
Ensuite c’est à la guerre de 14-19 que Chabaud va révéler une fois de plus son talent de dessinateur avec l’humilité de son trait à la mine de plomb sur ses carnets de croquis nous révélant une approche intimiste de cette vie dans les cagnas.
L’approche graphique de Chabaud autour de la guerre de 14-18 demeure le plus beau témoignage de vie car intrinsèquement lié à la mort et à l’angoisse qu’elle suscite.
Dans les tranchées, il ne cessa d’observer et de dessiner : « (…) J’ai, sur de petits carnets que je portais sur mon cœur, raconté toute l’histoire (en dessins s’entend) de la guerre vue au jour le jour par un artilleur qui, en qualité de canonnier servant, fut au départ du coup, et en qualité d’observateur de tranchée, fut non loin de l’arrivée ».
Ces dessins réalisés à la mine de plomb, instants de vie, moments intimistes des poilus dans les cagnas, captés par l’œil incisif du peintre, sont remarquables par leur précision et la vigueur de leur expression. Avec l’audace de leur composition et de leur cadrage au regard photographique, se dégage sur ses petits carnets une sublime force vitale qui dédramatise par la sensibilité du regard porté, toute notion de violence et de mort.
Et enfin en Provence, Chabaud sur ses carnets en poche, en vagabondage d’un village à l’autre, des Alpilles à la Montagnette, réalisera une multitude de dessins et d’esquisses au trait synthétique qui seront une base pour la réalisation de futures peintures. Carnet de bord et de repérage de ses déambulations parfois nocturnes dont il transposera parfois les paysages pour réaliser ses peintures.
Jusqu’à sa mort, l’artiste donnera une place prépondérante au dessin jusqu’à dessiner directement avec la couleur sur ses cartons, avec très souvent des réserves laissant apparaître le support pour sublimer la force de son trait et de ses compositions graphiques.